Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 juillet 2014 1 07 /07 /juillet /2014 17:15
A l'heure où d’aucuns, y compris de pseudo-partisans d’une paix juste comme la Ligue des Droits de l’Homme*, réservent leurs foudres aux seuls assassins des trois jeunes colons de Hébron, le journaliste Daniel Schneidermann remet salutairement les pendules à l’heure. Lire ci-dessous l’article publié sur son site Arrêt sur images, un site spécialisé dans l’analyse critique des médias conventionnels.
Hébron : les trois adolescents et les trois « mineurs » 
Daniel Schneidermann, Arrêt sur images, jeudi 3 juillet 2014 
Trois ado­les­cents israé­liens, enlevés le 12 juin dernier près de Hebron, dans les ter­ri­toires pales­ti­niens, sont retrouvés le 30 juin, assas­sinés par leurs ravis­seurs. Les Israé­liens soup­çonnent deux mili­tants du Hamas. L’affaire fait peu de bruit dans la presse inter­na­tionale, jusqu’à ce que leurs corps soient retrouvés. Les images des obsèques sont alors lar­gement dif­fusées sur les chaines de télé mon­diales. 
Le Monde consacre à l’affaire toute sa page 2. Dans un long article (non dis­po­nible en ligne), les vic­times sont dési­gnées neuf fois, de dif­fé­rentes manières : par leur nom et leur âge (« Eyal Yifrach, Naftali Frenkel, Gilad Shaer, âgés de 16 à 19 ans »), par leur pro­fession (« les trois étu­diants en yeshiva, école reli­gieuse »), par leur qualité dans l’affaire (« les captifs »), ou encore par le hashtag de la cam­pagne Twitter appelant à accé­lérer les recherches poli­cières (« #bring­ba­ckourboys »). 
Au cours des opé­ra­tions de recherche, nous apprend le même article,« 420 Pales­ti­niens ont été empri­sonnés (…) et 2200 bâti­ments ont été fouillés, au cours de cette opé­ration durant laquelle l’armée israé­lienne a tué cinq Pales­ti­niens, dont trois mineurs ». 
Relisez bien : « dont trois mineurs ». Des « trois mineurs » pales­ti­niens, qui ne sont men­tionnés qu’une seule fois dans l’article, on ne nous dit rien, ni leurs iden­tités, ni leur âge, ni leur état (étu­diants ? Lycéens ? Autres ?), rien non plus de l’émotion éven­tuelle de leurs proches, de leurs parents, ni même si leurs morts ont été men­tionnées sur Twitter. Leurs obsèques n’ont pas été retrans­mises sur les réseaux mon­diaux. 
D’un côté, des « ado­les­cents », avec tout ce que le mot charrie de per­sonnel et d’affectif (posters, baskets, frères, soeurs, bande de copains, pre­miers émois, acné, etc). De l’autre, des « mineurs », sans âge précis, sans visage, sans famille. Vous me direz que les « trois mineurs pales­ti­niens » ne sont pas le sujet de l’article, consacré à l’enlèvement des trois Israé­liens. La mort des « trois mineurs » n’est qu’une consé­quence, un dommage col­la­téral. 
Mais un journal est tou­jours libre de déli­miter comme il le sou­haite le sujet d’un article. Vous m’objecterez (peut-​​être) qu’on ne saurait taxer la presse fran­çaise, dans son ensemble, d’être outra­geu­sement pro-​​israélienne. C’est vrai. Il arrive qu’un biais jour­na­lis­tique (la prime aux « faibles ») vienne contre­ba­lancer un autre biais (la prime à « ceux qui nous res­semblent », et les Israé­liens res­semblent davantage aux jour­na­listes et lec­teurs occi­dentaux que les Pales­ti­niens). Vous m’objecterez peut-​​être enfin qu’il était dif­ficile de recueillir des infor­ma­tions pré­cises et per­son­na­lisées sur les familles des trois « mineurs » pales­ti­niens. Là, je serai obligé de vous contredire. L’un d’entre eux s’appellait Mohammed Dudin, il était âgé de 15 ans. Il avait un père, une mère, des cousins, une maison en construction, et il se faisait de l’argent de poche en vendant des frian­dises, toutes choses par­fai­tement racontées, selon les meilleurs canons de la nar­ration jour­na­lis­tique occi­dentale, dans cet article du journal israélien Haaretz, dont je vous recom­mande la lecture intégrale. 

  • La direction nationale de la LDH ne publie pas tous les jours des communiqués sur la situation en Israël/Palestine. On ne l’a pas vu dénoncer par exemple la campagne de terreur déclenchée depuis plusieurs semaines en Cisjordanie par l’armée israélienne. Aussi est-il désolant de constater que quand elle prend la plume, c’est pour fustiger en premier lieu les auteurs de l’assassinat des trois adolescents israéliens. Vous pensez que nous sommes trop sévères avec la direction de la LDH ? Lisez alors son communiqué, ci-dessous

Assassinats de jeunes Israéliens, la LDH condamne Communiqué LDH La Ligue des droits de l’Homme condamne l’assassinat de Gilad Shaer, Naftali Fraenkel et d’Eyal Yifrah, enlevés le 12 juin 2014. 
Non revendiqués, ces meurtres sont insupportables. S’en prendre à des civils ou à des prisonniers constitue une violation évidente du droit international que rien ne saurait justifier, pas même la situation d’occupation que connaît la Palestine et le déploiement permanent de violence déclenché par le gouvernement israélien à l’encontre du peuple palestinien. Ces assassinats ne serviront que les ennemis de la paix, qui sauront s’en saisir comme prétexte à la permanence de la colonisation, alimentant ainsi un peu plus le fleuve de haine et de sang. Il est plus que temps que la communauté internationale fasse prévaloir la voie du droit sur celle de la violence, et que tous les responsables de crimes de guerre soient déférés devant la Cour pénale internationale. Paris, le 1er juillet 2014 
Partager cet article
Repost0
1 avril 2014 2 01 /04 /avril /2014 20:58

Dimanche soir, alors que les premiers résultats des élections municipales étaient annoncés dans les médias, Caroline Fourest a entrepris, sur Twitter, de commenter les scores du FN, en présentant succinctement certains des nouveaux maires investis ou soutenus par le mouvement présidé par Marine Le Pen.

L’éditorialiste nous a ainsi offert de grands moments de subtile analyse politique en 140 signes, avec par exemple ce tweet au sujet du nouveau maire de Béziers, Robert Ménard :

Mais aussi, et surtout, avec cet autre tweet, à propos de David Rachline, nouveau maire de Fréjus :

On s’abstiendra, par charité, de commenter cet étrange « donc », qui induit une équivalence entre le groupuscule d’Alain Soral et l’un des principaux mouvements politiques libanais, raccourci qui en dit long sur la très grande culture de Caroline Fourest et sur sa volonté d’en finir avec les amalgames.

On se contentera seulement de relever que les obsessions islamiques de Caroline Fourest auront permis à ses abonnés sur Twitter de comprendre que, contrairement à ce que l’on pouvait entendre sur les plateaux de télévision, il n’y a eu ni « vague bleue » ni « vague bleu marine ».

La vague est en réalité verte, et il serait bon que chacun, à l’instar de Caroline Fourest, prenne conscience de la nécessité d’un combat sans merci contre les dérives islamophiles du Front National.

Partager cet article
Repost0
20 mars 2014 4 20 /03 /mars /2014 15:59

Le 15 mars 2004, l'Assemblée nationale adoptait une loi interdisant les signes religieux à l'école. Dix ans après, quel bilan peut-on en faire ? Plusieurs militants de gauche lancent un appel à manifester le 15 mars pour réclamer son abrogation. Ils estiment cette loi stigmatisante et source de discrimination.

voile-ecole.jpg

Le 15 mars 2004, un parlement presque unanime décidait, sous couvert de laïcité, d'un véritable coup de force anti-laïque.

 

La laïcité telle qu'elle avait toujours été comprise et pratiquée en France, et telle que la concevaient ses meilleurs spécialistes, était jusqu'alors une obligation de l’État et de ses représentants. Elle visait, d'une part, à prévenir l'imposition d'une nouvelle religion d'État et, d'autre part, à permettre aux citoyennes et aux citoyens de pratiquer librement leur religion.

 

On en venait désormais à imposer des obligations particulières aux élèves des lycées et collèges de l'enseignement public.

 

Une loi qui stigmatise la population musulmane

 

La loi du 15 mars 2004 était censée régler le "problème du foulard à l'école". Le premier effet immédiat de cette loi aura été la déscolarisation de quelques centaines de jeunes filles, dans leur grande majorité issues de milieux populaires.

 

Un effet second aura été le profonde division du corps social. Cette division n'est pas le produit de la loi et son abrogation ne réconciliera pas le corps social. Il faudrait pourtant être aveugle pour ne pas voir que celle-ci a dramatiquement aggravé la situation en légalisant la stigmatisation des musulmans, et plus particulièrement des musulmanes, dans l'espace public.

 

Depuis cette loi, la stigmatisation des musulmanes et des musulmans est devenue pratique d'État. Les appels à la loi, même s'ils n'ont pas toujours été suivis d'effets, se sont multipliés : interdiction du "voile intégral", menaces sur les "nounous voilées", circulaire Chatel interdisant aux mères de famille voilées d'accompagner les sorties scolaires de leurs enfants.

 

Cette dernière circulaire, qui proscrit le port du voile dans l'espace public, hors des écoles, n'a jamais été abrogée malgré l'avis du Conseil d’État qui souligne son écart par rapport à la tradition laïque. N'est-ce pas la preuve – s'il en fallait  – que la loi sert désormais le contraire de ce à quoi elle était destinée ?

 

Elle ne sert plus à garantir la neutralité de l'État, ni à préserver les libertés individuelles. Elle sert à stigmatiser et discriminer les musulmanes et les musulmans.

 

Des mesures qui renforcent le repli sur soi

 

L'un des arguments souvent repris à l'appui de ces lois, règlements et stigmatisations diverses, est le souci de préserver l'égalité entre hommes et femmes : mais ce sont précisément des femmes qui en font les frais. Est-ce en excluant de jeunes femmes de l'enseignement public et laïque que l'on permettra leur émancipation ?

 

L'autre argument souvent utilisé pour justifier cette loi anti-laïque est la lutte contre le "communautarisme". Or, ces mesures ne conduisent au contraire qu'à renforcer les tendances au repli sur soi de populations déjà durement touchées par les conséquences des politiques publiques.

 

(Une manifestation à été organisée à l'initiative du collectif des féministes pour l'égalité (CFPE), le 15 mars 2014, son mot d'ordre : abrogation de la loi du 15 mars 2004 !)

Partager cet article
Repost0
20 mars 2014 4 20 /03 /mars /2014 15:44

Plusieurs événements récents, relatifs à la question sahraouie, sont venus entacher les relations franco-marocaines. Quel est l’état actuel de celles-ci ? Le soutien traditionnel de la France au Maroc ne devient-il pas embarrassant pour Paris ? 

maroc-france-drapeau--1-.jpg

 Evidemment, la présentation du documentaire de Javier Bardem – Les Enfants des nuages, la dernière colonie – a un lien direct puisqu’il s’agissait pour l’acteur de dénoncer aussi l’appui inconditionnel de la France au Maroc sur la question du Sahara occidental qui reste effectivement au cœur du dispositif politique et de la politique étrangère de Rabat. Mais, en ce qui concerne le second incident, les liens sont indirects puisqu’un Sahraoui a effectivement porté plainte en France contre le directeur des renseignements marocains.

Concernant le caractère possiblement embarrassant du soutien de la France au Maroc, j’ai le sentiment que les élites politiques françaises ne le vivent pas de cette manière. Elles pensent qu’il y a eu un couac et que celui-ci a été dépassé et que leur soutien, qu’elles qualifient ou non d’inconditionnel, reste inchangé. Les Français ont appuyé la politique marocaine sur le Sahara, c’est-à-dire le plan d’autonomie mis en place en 2007, mais ils ne se soucient pas du tout de savoir si le contenu de ce plan va dans le sens d’une autonomie réelle. Je pense que les incidents sont déjà oubliés et que sur le plan économique et stratégique, l’amitié traditionnelle reprend le dessus, une amitié qui a quand même un caractère exceptionnel dans les relations entre les deux pays. 

Le « Printemps arabe » a-t-il modifié la donne dans les relations franco-marocaines, notamment en ce qui concerne la manière dont est perçue le Maroc en France ?

Encore une fois, l’impact fut indirect. Pour les Français, même si c’était de l’ordre de l’implicite, il existait un bon élève au sud de la Méditerranée et dans le monde arabe : c’était le Maroc qui évoluait à petits pas vers la démocratie, avait une politique d’ouverture et avait décidé de tourner le dos à une mauvaise gestion des droits de l’Homme. Tout cela a rapproché Rabat de Paris. 
Le problème est que cette appréciation a servi d’écran et les Français ne sont pas allés regarder ce qu’il y avait derrière cette image donnée par le Maroc. Ils ne se sont pas posés la question d’un possible reflux de cette ouverture au niveau de la liberté accordée à la presse et aux médias en général, au niveau du contenu réel de l’instance « équité et réconciliation » et de son résultat ou au niveau de la modification de la Constitution et de sa supposée réorganisation des pouvoirs. Les Français se sont contentés de cette politique d’affichage sans creuser au-delà. 
Dès lors, le Printemps arabe remet en question cette appréciation relative au bon élève marocain parce que, finalement, il fait voler en éclats toutes ces considérations et ces normes construites. Il montre qu’il n’y a pas d’exception arabe et que la volonté de changement peut être définie autrement et, surtout, par d’autres acteurs venant de la société civile ayant la volonté de rompre avec la dictature et l’autoritarisme. Le Printemps arabe montre aussi qu’il y a un souci de la part des sociétés civiles d’aller vers la citoyenneté et la démocratie. Ainsi, le chemin qui conduit à cette ouverture n’est plus le même et cela remet en question implicitement cette idée de bon élève marocain. 
La simple comparaison qui peut être faite entre la rédaction de la Constitution tunisienne – qui n’est pas du tout idéale, pleine de contradictions et qui sera difficile à mettre en œuvre – et la Constitution marocaine permet de voir qu’il y a un monde entre les deux. C’est réellement en comparant qu’on s’aperçoit qu’il y a effectivement des pays qui sont dans une dynamique de changement réel même si cela reste difficile, et d’autres cas où l’on est un peu dans l’affichage et dans un changement construit. 

Le Maroc est en concurrence avec certains de ses voisins, principalement l’Algérie, pour devenir le pivot de la région. Cette rivalité a-t-elle un impact dans la politique africaine de Rabat ?

Effectivement, il existe une concurrence réelle entre Alger et Rabat et face à la dynamique d’AQMI au Sahel, les deux pays pensent qu’il faut trouver une issue au Sahara occidental mais selon des modalités différentes. Maintenant, dans les deux cas, il y a une volonté de se rapprocher des capitales occidentales en mettant en avant une expertise, notamment sur le renseignement concernant les pays du Sahel, et notamment le Mali. La concurrence est évidente. Néanmoins, la politique africaine du Maroc va au-delà de cet aspect et s’appuie sur deux axes principaux. 
Le premier axe est d’ordre économique et porte sur les investissements, l’installation d’Attijariwafa Bank dans les Etats de l’Afrique sub-saharienne par exemple, et les exportations, notamment celle de phosphate qui servira de fertilisant pour l’agriculture de certains pays. 
Le second axe est un axe que les Marocains veulent religieux. En effet, ils renouent avec une tradition sultanesque du Maroc avec la confrérie de la Tijaniya notamment. Cette tradition renvoie à une période durant laquelle le Sultan était très considéré par certaines tribus africaines qui se déplaçaient dans la région. La prière du vendredi, dans certaines mosquées de l’Afrique sahélienne était faite au nom du Sultan marocain. Par ce biais-là, le Maroc pense pouvoir contrer l’Islam radical en faisant revivre un Islam modéré. 
Au plan économique, il est très difficile d’apprécier les effets des investissements, ils seront mesurables sur le long terme. L’Afrique peut être un débouché pour le Maroc. Mais, pour le moment, quand on regarde les échanges en 2013, les exportations vers l’Afrique représentent 2 % du PIB marocain ce qui est extrêmement faible. On ne peut donc pas se baser là-dessus aujourd’hui. 
Concernant les chances de succès du Maroc sur le second axe, cela reste aussi à vérifier. Aujourd’hui, je crois que le Maroc se trouve dans une illusion de grandeur. Aussi, je pense que ce pays avance également en profondeur et vers l’Afrique parce qu’il n’a pas pu s’étendre au niveau horizontal et au niveau maghrébin. Ces grands pays que sont l’Algérie et le Maroc ont évidemment besoin d’avoir des débouchés autres que leur propre pays.

 

Partager cet article
Repost0
3 décembre 2013 2 03 /12 /décembre /2013 09:07

Livre-small150.jpgAbdellali HajjatMarwan MohammedIslamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le "problème musulman", Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2013, EAN : 9782707176806.

 

« L’enjeu à venir ne se situe plus dans la légitimité de l’usage de la notion d’islamophobie, mais plutôt dans la nécessité de la définir précisément, malgré ses imperfections, afin de limiter les risques d’instrumentalisation »1. Proposer une telle définition est l’un des objectifs que se donnent Marwan Mohammed et Abdellali Hajjat dans ce livre, en mobilisant différents cadres théoriques et outils méthodologiques. Ils présentent une synthèse des données et des débats concernant le terme d’« islamophobie » et le fait social qu’il désigne, les formes de stigmatisation, de discrimination et d’exclusion touchant spécifiquement les musulman-e-s actuellement en France. Ils proposent également une définition opératoire de l’islamophobie : le « processus social complexe de racialisation/altérisation appuyée sur le signe de l’appartenance (réelle ou supposée) à la religion musulmane » (p. 20). Cette définition permet d’articuler les idéologies, les préjugés et les actes avec la construction publique d’un « problème musulman » par certaines élites depuis les années 1980.

2La première partie de l’ouvrage porte sur les réalités et l’évaluation de l’islamophobie, à travers l’expérience des musulman-e-s et les statistiques recensées. L’expérience de l’islamophobie constitue une épreuve, crée un sentiment d’illégitimité et un climat de suspicion, et s’ajoute souvent à d’autres difficultés sociales. Elle est enregistrée par le recensement du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), des enquêtes sur les opinions, les discriminations, le rapport aux valeurs ou l’impact des origines, ou encore des statistiques ministérielles. Par une présentation critique de ces données et de leurs conditions de production, les auteurs montrent notamment la pluralité des expressions du phénomène, visant l’islam comme culte ou les musulman-e-s comme individu-e-s, avec une nette sur-représentation des femmes parmi les victimes et une difficulté à distinguer ce qui relève du racisme, du sexisme et du racisme de classe. Ils notent aussi un affaiblissement des préjugés entre 1990 et 2010, puis une augmentation de l’islamophobie et une baisse du racisme antimaghrébin depuis 2010, qu'ils expliquent notamment par l’agenda médiatique et politique. Ils en concluent à la nécessité de tenir une articulation et une distinction entre ces deux formes de racisme (antimaghrébin et antimusulman), dans le contexte d’une recomposition idéologique et politique autour de la question de l’islam.

3La deuxième partie du livre présente une histoire de la notion, de ses critiques et de ses usages. Le terme est inventé au début du xxe siècle par un groupe d’« administrateurs ethnologues » français spécialisés dans l’étude de l’islam ouest-africain, au croisement d’une prétention scientifique et d’un projet politique. À partir des années 1980, apparaît un usage politique de la catégorie qui désigne des immigrés musulmans vivant sur le territoire européen. Et au milieu des années 1990, l’islamophobie devient « un phénomène global, historique et racial, réinterprété et redéfini par les musulmans et les non-musulmans ainsi que par les universitaires, les acteurs publics et les militants » (p. 82). La notion ne constitue pas encore un concept analytique et empirique, mais influence le débat public. Certain-e-s chercheur-e-s critiquent une conception anhistorique et psychologique, la reproduction de l’idée d’un islam unique ou le regroupement de discours hétérogènes. D’autres analysent l’islamophobie comme une idéologie raciste, comme un processus historique de racialisation, dans une perspective historique et géographique globale ou à partir des questions de genre et de sexualité. Les auteurs, s’inscrivant dans ces différents courants et débats, proposent une définition : un processus de racialisation/altérisation qui assigne à des individu-e-s une identité religieuse et les fait passer à un groupe homogène et permanent, avec une imbrication entre race et religion.

4La troisième partie concerne la construction du « problème musulman » depuis les années 1980 en France. Le « problème musulman » découle historiquement du « problème de l’immigration », quand les « élites » administratives, politiques et médiatiques imposent l’enjeu de la maîtrise des flux migratoires au début des années 1970. Il concerne d’abord les travailleurs immigrés, lors des grèves ouvrières de l’industrie automobile en 1982, puis les enfants immigrés avec la mise en place de la Commission sur la nationalité (1987) et la première « affaire du voile » (1989). Une communauté d’interprétation émerge progressivement sur un « problème spécifique » posé par l’islam, ainsi qu’un espace de mobilisations marqué par de fortes oppositions idéologiques et une convergence autour de la volonté d’un régime d’exception à l’encontre de la population musulmane, la « cause islamophobe ». Un basculement idéologique survient en 2003-2004, avec la définition de la « nouvelle laïcité » qui apparaît comme « une reconfiguration de la division entre le public et le privé par le refus de l’expression de signes religieux “ostensibles” dans l’espace public et par l’intrusion dans l’intimité privée pour mesurer le respect des valeurs républicaines » (p. 145). Des institutions comme le Haut conseil à l’intégration participent à l’institutionnalisation du problème public, à la construction d’une nouvelle norme laïque et à son imposition dans l’action publique. Il en résulte l’extension d’une logique disciplinaire sur les corps et les esprits des musulman-e-s, et finalement un « processus de discrimination légale par capillarité », avec la diffusion progressive et la légitimation juridique de la logique d’exclusion.

5La quatrième partie porte sur la formation d’une « archive antimusulmane », c'est-à-dire l’histoire des représentations de l’islam dans la pensée théologique et politique européenne. À partir duviie siècle apparaissent différentes stratégies discursives contre l’expansion du dogme religieux et de l’ennemi politique. Puis avec la naissance de l’orientalisme au xviiie siècle, l’islam devient aussi objet de connaissances relativement distanciées, enjeu d’exploration et de colonisation. Les discours articulent savoir orientaliste et pouvoir impérialiste contre le « despotisme oriental », avec une radicalisation de l’altérité musulmane par la prédominance du religieux et une connexion entre race et religion. Après la Seconde guerre mondiale, les discours sur l’islam et les musulman-e-s présentent une plus grande diversité, avec notamment la diffusion des représentations néo-orientalistes et stéréotypées et la construction d’un consensus international. Les auteurs proposent enfin une comparaison entre islamophobie et antisémitisme. Tous deux présentent, du point de vue de l’histoire des idées, une relation analogue entre race et religion : « l’appartenance religieuse est censée être le déterminant ultime du comportement individuel et collectif » (p. 183). Dans une perspective socio-historique, antisémitisme et islamophobie présentent aussi « une logique analogue de refus de l’égalité, qui se fonde sur le clivage national/étranger », mais « la consolidation des positions sociales et la normalisation de la présence des juifs contrastent avec la contestation de la légitimité de la présence des musulmans sur le territoire européen » (p. 194-195).

6La dernière partie présente les mobilisations autour de l’islamophobie. D’un côté, le mouvement de disqualification de la lutte contre l’islamophobie procède de l’illégitimité de la pratique religieuse musulmane et de la légitimation de pratiques discriminatoires. Considéré comme manifestation de l’« intégrisme », l’islam est associé à une norme d’infréquentabilité. Dans le mouvement antiraciste par exemple, le groupe des « Arabo-musulmans » étant jugé à la fois moteur et victime du racisme, le passage de la défense des populations discriminées en raison de leur couleur de peau ou de leurs origines à celles d’individus discriminés en raison de leur appartenance religieuse n’est pas évident. De l’autre côté, les prémisses d’une lutte contre l’islamophobie apparaissent dans les années 1990, avec par exemple le Mouvement de l’Immigration et des Banlieues (MIB, 1995). Cette mobilisation se concrétise dans les années 2000 par des alliances autour de luttes précises, par exemple le collectif « Une école pour tous-tes – contre les lois d’exclusion » (2004). Dans le mouvement féministe, fortement divisé à propos de l’islam et des musulman-e-s, émerge ainsi un courant visant directement l’islamophobie et portant une critique postcoloniale du féminisme majoritaire et de l’universalisme républicain. Et si l’espace des mobilisations contre l’islamophobie est peu soutenu par les principales organisations musulmanes, une nouvelle vague de militant-e-s, majoritairement issus des minorités, apparaît à partir de 2003. Le CCIF (2003), les Indigènes de la Républiques (2005), les Indivisibles (2006) ou la Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie (2008), portent notamment des positions critiques à l’égard de l’antiracisme traditionnel, déploient une pluralité de modes d’action et défendent une perspective d’autonomie politique.

7Ce livre propose d'articuler la notion d’islamophobie, la construction du « problème musulman » et la question de la légitimité de la présence de l’immigration postcoloniale sur le territoire national. Avec cette construction originale, appuyée sur des hypothèses fortes et des analyses rigoureuses, il remplit bien son objectif : proposer une définition opératoire pour l’identification et l’analyse de l’islamophobie.

Partager cet article
Repost0